Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/118

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une lettre à son ami Baille, à propos du célèbre roman de George Sand, Jacques. En réalité, absorbé tout entier par la passion littéraire, poussé par l’ambition très vive de bien faire, dominé par la volonté de terminer ce qu’il avait une fois entrepris, hanté par son œuvre, comme l’avait été Balzac, il a surtout aimé Gervaise et Nana, Miette et Renée, toutes ses héroïnes, perverses ou touchantes. La femme prend du temps. Les heures qu’on passe à aimer sont perdues pour l’œuvre. La force qu’on pourrait employer à créer un personnage, fictif, mais doué d’une vie supérieure, susceptible de se prolonger au delà de toute longévité humaine, on la gaspille en l’employant à fabriquer un enfant de chair et d’os. Comme, cependant, la nature a ses exigences, il convient d’accorder à l’appétit amoureux l’attention et le temps qu’on attribue à l’autre, celui qui a l’estomac pour siège, avec modération, et à l’heure voulue. Quand on a la feuille de papier qui attend sa semence d’encre, il ne convient de s’attarder ni au lit ni à table. Telle fut la méthode du grand laborieux. Jouvenceau, homme fait, ou déjà parvenu au seuil de la vieillesse, ce robuste producteur contint tous les désirs, prévint tous les entraînements, évita les fièvres et les ardeurs qui brûlent, agitent, affolent, charment et désespèrent tour à tour la plupart des hommes. Il vécut en reclus. Il peina en manœuvre. Il se constitua prisonnier de l’œuvre et de l’idée. Loin de la foule, sourd aux rumeurs de la place publique, comme aux murmures des salons, dans son laboratoire littéraire, il s’enferma, jusqu’au jour où, par une sorte de révolution intérieure et de revanche de la passion interne, vapeur trop longtemps comprimée faisant sauter le couvercle, il éclata dans l’emportement et dans l’explosion de l’affaire Dreyfus.