Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/163

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qui en arrive à rêver de s’entr’égorger, cherchant à échapper, par un nouveau crime, aux conséquences du premier ! Thérèse Raquin, dont le théâtre a popularisé les situations éminemment dramatiques, avec le personnage spectral de la mère du mort, renferme des morceaux littéraires, travaillés de main d’ouvrier, et qui pourraient figurer dans les plus excellents ouvrages de l’auteur : la description du passage du Pont-Neuf, rue Guénégaud, le tableau balzacien d’un intérieur de mercier, la vie du petit commerçant observée et rendue avec précision et coloris, —la couleur dans le gris et le terne, c’est l’art suprême du peintre, —la fièvre amoureuse de Thérèse, la partie de canot et le crime, la visite à la Morgue, puis l’épouvante en tiers avec les deux amants, les visions macabres, le mort se dressant devant les deux êtres prêts à s’étreindre, et paralysant leurs élans, la révélation à la paralytique, et tout le poignant tableau des désespoirs et des fureurs du couple, finissant par trouver le remède à ses tortures, et le refuge contre la poursuite des Erynnies du souvenir et de la conscience dans un suicide simultané, ce sont là des parties d’un art achevé, dans un édifice brutalement construit sans doute, mais où la maîtrise déjà s’affirmait. Dès Thérèse Raquin, Émile Zola se révélait, se transformait. C’était un homme nouveau, un écrivain et un penseur, que les ouvrages de début ne pouvaient faire pressentir, qui venait de se dresser hors de la foule des faiseurs de livres de son temps, de niveau avec les plus grands. Bientôt il les devait dépasser tous.