Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/197

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le propre de l’homme, dit-on. Oui, comme l’adultère, la pédérastie, le fanatisme, le crime, la méchanceté. L’animal ne rit pas, parce que l’animal, même le tigre, est bon : pas plus féroce quand il dévore un homme, par faim, que nous quand nous avalons une huître vivante, par gourmandise. Ce n’est que l’esprit de malveillance qui anime le rieur. Une personne qui trébuche, un mari qui souffre, un bossu qu’on maltraite, voilà d’éternels sujets de rire. Toute la joie du théâtre français est là. Sans Sganarelle cocu et Géronte bâtonné, il resterait peu de chose du grand comique français. Ce n’est pas seulement le rire, mais l’ironie, qui fait défaut à l’homme de génie, et aussi à l’homme seulement pourvu de talent. L’ironie, traduisez en parisien la blague, est une modalité de l’esprit, incontestablement inférieure. La bassesse humaine a la parodie pour manifestation. Homère a déjà signalé cette honte et cette misère de l’espèce, dans son abominable Thersite. Ils sont malheureux plus qu’on ne le pense, ceux qui tournent tout en dérision, et qui rigolent devant ce qui est digne d’admiration. Le diseur de bon mots, selon Pascal, est toujours un mauvais caractère. Les écrivains qui furent des moqueurs ont laissé, parfois, des œuvres impérissables, car ce sont de grands et cruels génies que Rabelais, Molière, Voltaire, Beaumarchais ; ils ont légué surtout un déplorable héritage. Il ne faut, d’ailleurs, pas confondre les grands railleurs avec les blagueurs subalternes. Il y a de l’amertume, au fond de la joyeuseté de nos vrais comiques. Est-il rien de plus tragique que Molière, amoureux quadragénaire, rebuté et déçu, mettant en joie le parterre, et les marquis aussi, aux dépens de son Arnolphe, c’est-à-dire aux siens ? L’autobiographie