C’est pendant l’hiver de 1868 que fut commencée la Fortune des Rougon.
Cet ouvrage fut achevé en mai 1869. Zola habitait alors à Batignolles, rue
de La Condamine, n° 14. Ce roman, que l’éditeur Lacroix s’était engagé,
par traité, à éditer, devait d’abord paraître en feuilleton, dans le
Siècle, alors le plus répandu des journaux politiques. C’était une
puissance, cet organe, qui, selon l’aristocrate et le dédaigneux Figaro,
avait surtout la clientèle des marchands de vins. Il n’était pas d’une
lecture distinguée. Modéré de ton, anticlérical, hardi, prudemment
républicain, le Siècle fut longtemps le seul journal d’opposition.
L’empire libéral le tolérait, tout en le craignant. Mais ne fallait-il
pas une soupape pour l’échappement des bouillonnements populaires ?
Pour l’époque, ses tirages étaient considérables : 60.000 abonnés. On ne
l’achetait guère au numéro ; c’était un journal cher : le numéro se vendait,
à Paris, 15 centimes, le prix de l’abonnement était de 80 fr. par an. On
ne prévoyait guère alors de grands quotidiens à six ou huit pages, se
payant trente sous par mois.
Ces journaux coûteux avaient un tirage restreint et une vaste influence.
L’abonné du Siècle, qui ne croyait pas toujours en Dieu, croyait en
son journal, et propageait, comme articles de foi, les propositions des
rédacteurs. On se prêtait, on se repassait chaque numéro. Il y avait des
groupes, et comme des coopératives de liseurs : un principal abonné, dans
de petits cercles de voisins, acceptait des sous-abonnés. Quelques-uns
de ces locataires n’avaient droit qu’au journal de la veille, payant une
redevance moindre au titulaire de l’abonnement. Les feuilletons étaient
patiemment découpés et cousus ; ils formaient de gros cahiers de lecture
qui se louaient, se prêtaient : toute une bibliothè
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