Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/285

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

quelle émotion on suit leur marche vagabonde dans la nuit, quand, Paul et Virginie provençaux, enfouis sous le capuchon et la mante épaisse, comme les poétiques amants de l’Île de France sous la feuille protectrice et large du latanier des Pamplemousses, ils s’enfoncent, insoucieux et gais, dans l’ombre ouvrant devant eux son porche mystérieux. Ils suivent cette grande route noire, en parlant d’amour et d’avenir, cependant qu’à l’horizon gris-bleu, où déjà se dessine la barre blanchissante de l’aube, monte, grandit, éclate la rumeur étrange d’une foule en mouvement. C’est le peuple qui, dans les ténèbres, avec un bruit lointain de marée, accourt, roule ses vagues. Peu à peu s’élève, croît et rugit, claire, formidable, vengeresse, la grande Marseillaise des anciens jours, chantée par trois cents paysans en armes, marchant au pas, et qui croient, héros naïfs et sublimes, que l’heure de gloire est arrivée, et qu’un sang impur abreuvera bientôt leurs sillons ! Ici, l’idylle se fond dans l’épopée. Cette Marche des Paysans dans la nuit est un tableau d’histoire solide et large. Une fresque de maître. La composition est panoramique. Les détails sont nombreux, précis, choisis. Rien d’oiseux, rien d’inutile, rien d’omis, rien de trop. Les masses s’y meuvent, disciplinées, comme dans un finale d’opéra, et avec l’entrain d’une cohue d’insurgés enthousiastes. On entend d’abord rugir au loin l’hymne révolutionnaire, devenu depuis chant officiel, admis à la table des souverains. La Marseillaise, c’est l’avant-courrière superbe des bataillons. La campagne endormie s’éveille à ce tonnerre. Elle frissonna tout entière, ainsi qu’un tambour que frappent les baguettes ; elle retentit jusqu’aux entrailles, répétant par tous ses échos les notes ardentes du chant national.