Une fois, dit-il, en nous en allant, arrivés à un certain endroit
de la rue Montmartre, il me dit tout à coup : « Retournez-vous et
regardez ! » C’était extraordinaire : vues de cet endroit, les toitures
des halles avaient un aspect saisissant. Dans le grandissement de la
nuit tombante, on eût dit un entassement de palais babyloniens empilés
les uns sur les autres. Il prit note de cet effet qui se trouve décrit
quelque part dans son livre. Et c’est ainsi qu’il se familiarisait
avec la physionomie pittoresque des Halles. Un crayon à la main, il
venait les visiter par tous les temps, par la pluie, le soleil, le
brouillard, la neige, et à toutes les heures, le matin, l’après-midi,
le soir, afin de noter ses différents aspects. Puis, une fois, il y
passa la nuit entière pour assister au grand arrivage de la nourriture
de Paris, au grouillement de toute cette population étrange. Il
s’aboucha même avec un gardien-chef, qui le fit descendre dans les
caves, et qui le promena sur les toitures élancées des pavillons…
Il entassa ensuite tous les documents écrits qu’il put se procurer ; les
livres sur les Halles étaient rares ; un volume de l’ouvrage de Maxime
Du Camp, Paris, sa vie, ses organes, était à peu près tout ce qu’il
trouvait comme sources. Il dut se renseigner à la préfecture de police, et
se procurer des états, des statistiques, des règlements d’administration.
Le Ventre de Paris devint un véritable traité d’organisation, de
fonctionnement et d’administration des Halles.
Le livre est intéressant, avec son symbolisme en action des Gras et des
Maigres, et le drame intime du suspect Florent et des Quenu-Gradelle,
repus, satisfaits. Il s’y rencontre des passages d’une lecture plutôt
écœurante, comme la confection du boudin, et la fameuse symphonie
des fromages « où les marolles donnaient la note forte » . La force de
l’expression et l’intensité de la description sont poussées si loin que
l’on admire ce tour de force littéraire, en comprimant des nausées.
Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/295
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