C’est un véritable poème gastrique que ce roman curieux. Inspiré sans
doute par le spectacle des Halles et le désir de faire un livre, dont le
palais de la nourriture fournirait le milieu et les personnages, Zola a
aussi, probablement, obéi à une secrète pensée de rivalité. Il a voulu se
mesurer avec Victor Hugo. C’est Notre-Dame-de-Paris qui semble avoir
servi de modèle au Ventre de Paris. L’antithèse de l’Église et des
Halles. Le poème de la matière répondant à celui de la spiritualité. La
cathédrale personnifiant le monde mort du mysticisme et de la foi, le
vaste marché incarnant les appétits et les besoins de notre société
matérialiste. Les merveilles de la description et la vigueur du coloris
étant également prodigués, pour le charme du lecteur, par le peintre des
vitraux gothiques et par l’aqua-fortiste des arceaux de fonte, par le
poète des fromages nauséabonds et des mous de veau rouges pendus aux crocs
des boucheries, comme par le chantre des processions passant sous les
voûtes hautes, dans des volées d’encens, au pied des tours dentelées et
sonores, d’où Dieu semble parler à la terre. Notre-Dame et les Halles,
c’est la lutte, dans la lice éternelle de l’art, de l’Âme et du Corps, de
l’Esprit et de la Matière, de l’Idéal et du Réel, de l’Estomac qui mange
et du Cerveau qui pense, du Passé, cela, tué, comme l’avait prévu Hugo,
par ceci, le Présent.
Le Ventre de Paris, malgré son titre et son sujet, est un des livres de
Zola où il y a le plus de poésie. Cette nature-morte superbe est traitée
avec fougue, avec lyrisme, avec vie, par un pinceau romantique. C’est du
Delacroix écrit.
La Conquête de Plassans suivit le Ventre de Paris.
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