Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/304

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populaires, affirmèrent que le corps électoral était insulté dans l’une de ses forces les plus utiles à flatter, la masse ouvrière urbaine. Les petits journaux, les revues de cafés-concerts, les feuilles illustrées, chansonnèrent, raillèrent, exagérèrent. A force de persuader au public que l’Assommoir était un livre excessivement « cochon », le traditionnel pourceau que toute gaine humaine passe pour contenir endormi, s’éveilla, et le succès devint énorme. Bien qu’au fond il n’y ait rien de folichon dans le sombre tableau de la misère ouvrière, et dans la description des déchéances morales et physiques de l’homme et de la femme, happés par l’engrenage de l’ivrognerie, la réclame-outrage porta. L’épithète de pornographe lancée resta, et attira. La maîtrise de l’auteur, sa puissance de vision et son art d’évocation furent révélés à des milliers de lecteurs, qui, sans le tapage fait autour de l’Assommoir, n’auraient probablement jamais eu l’idée d’ouvrir ce roman, ni les ouvrages qui l’avaient précédé. Grâce à cette fausse réputation d’auteur licencieux, Zola devint en quelques jours le romancier le plus connu, le plus acheté aussi. On rechercha ses premiers volumes, et ceux-ci, à la remorque de l’Assommoir, furent emportés vers le succès. L’Assommoir est demeuré comme exceptionnel dans l’œuvre de Zola. Les mœurs populaires y sont peintes avec une vigueur touchant à la brutalité, qui empoigne et qui émeut. Les uns éprouvent de l’indignation, d’autres du dégoût, quelques-uns de la pitié. Nul lecteur ne saurait demeurer indifférent devant une page de ce livre extraordinaire. La facture en est également à part. Soit que Coupeau, Gervaise ou Mes-Bottes emploient le langage direct, soit que le romancier, en style indirect, raconte et explique leur