Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/305

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existence, leurs actes, leurs sentiments, leurs passions, le vocabulaire est celui de l’atelier, du comptoir, de la rue. Ce n’est pas l’argot classique, le bigorne des chansons du temps de Gaultier-Garguille, ni le « jars » d’Eugène Sue « dévidé » dans les Mystères de Paris, mais plutôt la langue verte, le parler trivial des ateliers et des cabarets. L’auteur a écrit comme les ouvriers ont l’habitude de « jacter » . Il a dû, pour substituer à sa langue littéraire ce parler, faire un effort de linguistique. Je crois que la Chanson des Gueux, de Jean Richepin, parue un peu avant l’Assommoir, l’aura excité à user de ces vocables pittoresques et colorés, qui forment le fond de la langue du peuple parisien. Cette curieuse adaptation de l’idiome populaire à une œuvre de littérateur ne s’est pas effectuée sans travail. On sent, ici et là, que l’auteur a péniblement fait son thème. Il devait penser, dans la langue très littéraire, souvent poétique, qui était la sienne, qu’il employait en ses romans précédents, et il mettait ensuite en « faubourien » les mots et les tournures de son langage usuel. Ainsi, et cet exemple, pris entre mille, démontrera le mécanisme du procédé, dont il ne parut s’aviser qu’après réflexion, car les deux premiers chapitres de l’Assommoir ne sont pas écrits en style argotique : à un endroit du roman, il s’agit de montrer Coupeau déambulant, l’air crâne, disposé à rire, à s’amuser, avec des camarades qu’il précède. Ceci pourrait se dire simplement ainsi. Zola transpose argotiquement la phrase ordinaire et écrit : « Coupeau marchait en avant, avec l’air esbrouffeur d’un citoyen qui se sent d’attaque… » Cette déformation du langage correct et littéraire est d’un usage fréquent au théâtre. C’est ce qu’on appelle patoiser. Il y a des exemples classiques et fameux de ce