Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/307

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traduit, avec son style propre, mais avec le dictionnaire courant, avec la grammaire ordinaire, ce qu’ils ont pensé, ce qu’ils ont à dire. Quand, au lieu du dialogue, l’auteur emploie le style indirect, quand il analyse et décrit les sensations, les idées de ces mêmes personnages, il le fait avec une correction et une minutieuse analyse qui le dénoncent à chaque ligne. Il est impossible que la convention ne régisse pas l’expression dans toute œuvre, romanesque ou théâtrale. Si vous mettez un Anglais, un Africain, un Japonais à la scène, vous supposez, et le public admet avec vous, que cet exotique connaît notre langue. Schiller a fait Jeanne d’Arc s’exprimer en bon allemand, bien qu’il soit contraire à la vraisemblance historique que l’héroïne lorraine ait pu parler l’idiome germanique. Elle l’ignorait. Quand un romancier raconte les actes de ses personnages, ou décrit ce qui se passe dans leur conscience, il emploie nécessairement les termes, les tournures, les formules qui sont à sa disposition et qui correspondent à sa culture, à sa force de coloris, à l’intensité de son style, et pas autrement. On ne saurait demander à un auteur dramatique du XXe siècle, donnant une pièce sur l’Affaire des Poisons, de mettre dans la bouche de ses acteurs les phrases et les tournures usitées à la cour de Louis XIV, ou à un romancier moderne, traitant un sujet se passant dans l’antiquité, de faire parler ses héros comme les contemporains de Pétrone Arbiter. Ni Victorien Sardou ni Sienkiewickz n’ont estimé nécessaire, à la vraisemblance de leur œuvre ou à l’illusion du public, ce trompe-l’œil linguistique. L’Assommoir eût été un livre tout aussi fort, et aurait fourni un tableau tout aussi saisissant des milieux populaires, s’il eût été écrit dans le style des autres romans