Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/340

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intérieure remplace la description purement extérieure. Le sujet de l’Œuvre a été déjà maintes fois traité. Depuis qu’il y a des artistes, toujours de leurs poitrines se sont échappés des sanglots, et les plus beaux cris des poètes sont peut-être ceux que leur arrachait la Forme rebelle et l’impuissance à la vaincre. Pétrus Borel, quelques jours avant de succomber à une insolation, en Algérie, trouvait sa plus belle imprécation dans un appel désespéré à la Muse inerte et froide, qu’il s’évertuait en vain à ranimer, et dont il étreignait inutilement les bras de statue. Musset, le moins poétique des poètes, mais le plus philosophique peut-être, Musset, qu’Émile Zola, peu liseur de vers, a cependant beaucoup pratiqué, a donné lui aussi cette note douloureusement désespérée. Combien d’hommes ignorés, méconnus, éconduits, se sont reconnus, et se reconnaîtront dans Pierre Sandoz, l’écrivain qui s’accouche avec des fers, et, quand c’est fini, quand la délivrance est accomplie, éprouve non pas une jouissance, non pas un soulagement, mais le sentiment de son infériorité, de sa faiblesse, de son avortement. C’est l’histoire des merveilleuses pommes d’or des Hespérides, métamorphosées brusquement en navets ridicules, entre les bras qui précieusement les serraient. Mais Zola, avec une vigueur renouvelée à chaque page, a su rajeunir ce thème philosophique, un peu vieillot. Il est parvenu à tirer des effets nouveaux et surprenants d’un refrain banal, et il a, sur la quatrième corde, improvisé des variations délicates ou brutales, donnant le frisson à tout l’être. Virtuose psychique, avec un archet invisible, d’une douceur infinie, promené sur les fibres tendues de tout cerveau d’artiste, il a joué une fantaisie cruelle et douce, dont chaque créateur, peintre, sculpteur, écrivain, semble avoir fourni le thème.