Aller au contenu

Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/341

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Tout ce qui pense, tout ce qui écrit, tout ce qui agit, quiconque porte en soi une idée à réaliser, un rêve à faire descendre du ciel sur la terre, tous les créateurs, sans qu’il soit besoin d’être manieur de cordes, brosseur de toiles, gâcheur de terre ou noircisseur de papier, tous les laborieux et tous les espérants, l’homme politique qui s’épuise à la tribune et escalade fiévreusement en imagination le pouvoir entrevu, comme Lantier apercevait sa tête de femme, dans une brume décevante et séductrice à la fois, le savant qui, penché sur la mort, le microscope à la main, se tue à chercher la vie, l’inventeur comme le marin, le missionnaire comme l’apôtre socialiste, tous ceux qui ont voulu escalader l’Olympe, Prométhées hardis, et en sont redescendus, n’ayant plus trouvé, au lieu de l’étincelle rêvée, qu’un tas de cendres froides, avec le vautour aiguisant ses serres, tous ces argonautes de la pensée, tous ces chercheurs de toisons d’or, qui sont nombreux sous le soleil, éprouveront toujours, en lisant l’œuvre de Zola, cette sensation cruelle, et en même temps attirante, que connaît le malade incurable, à qui tombe sous les yeux un livre de médecine où son mal est traité. L’Œuvre est un manuel de clinique cérébrale, un formulaire de pathologie esthétique. Il ne guérira personne, ce traité, d’ailleurs, car ceux qui sont atteints du mal de Claude Lantier et de Sandoz, non seulement ne voudraient pas être guéris, mais, s’ils n’étaient pas malades, s’ils étaient comme les autres hommes, bien portants et bons vivants, consentiraient-ils à vivre ? Sans la souffrance qui les ronge, et les ravit, ils dédaigneraient de faire jusqu’au bout l’étape vitale, pour eux devenue sans but, comme sans intérêt.