Aller au contenu

Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/352

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

moins esthétique. N’importe ! la jeunesse voulait pardonner la désertion physique de l’homme. Mais une désertion plus terrible se manifestait déjà : la trahison de l’écrivain devant son œuvre. Zola, en effet, parjurait chaque jour davantage son programme. Incroyablement paresseux à l’expérimentation personnelle, armé de documents de pacotille, ramassés par des tiers, plein d’une enflure hugolique, d’autant plus énervante qu’il prêchait âprement la simplicité, croulant dans des rabâchages et des clichés perpétuels, il déconcertait les plus enthousiastes de ses disciples. Puis, les moins perspicaces avaient fini par s’apercevoir du ridicule de cette soi-disant Histoire Naturelle et Sociale d’une famille sous le Second Empire, de la fragilité du fil héréditaire, de l’enfantillage du fameux arbre généalogique, de l’ignorance, médicale et scientifique, profonde du Maître. N’importe, on se refusait, même dans l’intimité, à constater carrément les mécomptes. On avait des : « Peut-être aurait-il dû… », des « Ne trouvez-vous pas qu’un peu moins de… », toutes les timides observations de lévites déçus, qui voudraient bien ne pas aller jusqu’au bout de leur désillusion. Il était dur de lâcher le drapeau ! Et les plus hardis n’allaient qu’à chuchoter qu’après tout Zola n’était pas le naturalisme et qu’on n’inventait pas l’étude de la vie réelle, après Balzac, Stendhal, Flaubert et les Goncourt ; mais personne n’osait l’écrire, cette hérésie. Pourtant, incoercible, l’écœurement s’élargissait, surtout devant l’exagération croissante des indécences, de la terminologie malpropre des Rougon-Macquart. En vain, excusait-on tout par ce principe émis dans une préface de Thérèse Raquin : « Je ne sais si mon roman est moral ou immoral ; j’avoue que je ne me suis jamais inquiété de le rendre plus ou moins chaste. Ce que je sais, c’est que je n’ai jamais songé à y mettre les saletés qu’y découvrent les gens moraux ; c’est que j’en ai décrit chaque scène, même les plus fiévreuses, avec la seule curiosité du savant. »