Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/445

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boutiquier comprit encore, mais il ne comprit jamais que les chaussettes étaient trop grandes. À la fin, impatienté, je fermai le poing et je le lui tendis comme on fait à Paris pour qu’il prenne la dimension. Mais le boutiquier ne saisit pas. Il crut que je voulais le boxer, et il se réfugia derrière ses cartons. J’allongeai alors la jambe, le boutiquier eut encore plus peur et se figura que la boxe allait dégénérer en séance de savate. Mais tout finit par s’arranger et le marchand comprit que mes poings et mes pieds n’en voulaient aucunement à lui, mais simplement à ses chaussettes. Il fallait prendre quelques précautions, à Grosvenor-Hôtel, où la clientèle était nombreuse, élégante, et pouvait connaître, de vue au moins, l’auteur de l’Assommoir. Zola, d’ailleurs, dans les premiers jours, était imprudent. Il se promenait avec un chapeau mou gris, inusité à Londres, une grosse chaîne de montre, des bagues aux doigts, et une rosette de la Légion d’honneur à sa boutonnière. Tout cet attirail le désignait comme un étranger, un Français. Dans le salon-bar de l’hôtel d’York, fréquenté par les chanteurs et artistes de music-halls en quête d’engagements, on le prit pour un Barnum, pour le directeur des Folies-Bergères ou de l’Olympia, de Paris, venu en remonte à Londres, et des cabotins sans emploi lui firent de pressantes offres de service, qu’il eut grand’peine à décliner. On le suppliait d’accorder des auditions et tout un cortège de M’as-tu-vu se disposait à le suivre à son hôtel. Il fut obligé de sauter dans un cab, et de fuir en donnant au cocher une fausse adresse. Un journaliste anglais, M. Vizitelly, qu’il connaissait de longue date et qu’il avait averti de son arrivée, lui servit de truchement et lui procura une chambre, à Wimbledon, aux environs de Londres, chez un solicitor, un