Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/54

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de sa mère, l’intelligente et pratique beauceronne, de l’avoué chez l’avocat. Elle laissait la maison aller au hasard, et son enfant croître à l’aventure. Les charges de ce petit ménage, composé de trois personnes et d’un garçonnet, retombaient sur les bras, heureusement robustes encore, de la grand’maman Aubert. La bonne ménagère qu’elle était suffisait à tout. Elle balayait, frottait, lavait et cuisinait, après les courses en ville. Sans cesse à la besogne, toujours alerte et de bonne humeur ; elle faisait la foule, et suppléait, dans cette grande caserne, au personnel absent. Ainsi les deux femmes et le grand-père Aubert, vieillard somnolent, n’avaient guère le temps de s’occuper du gamin. Le petit Émile poussait comme une plante agreste et vivace. Il allait, venait, courait, trébuchait, tombait, se ramassait, jouait avec des cailloux, se roulait sur l’herbe, écorchait sa veste, salissait, dans les ornières, bas et chaussettes, attrapait des papillons, pourchassait des cigales, chantonnait avec les alouettes, sifflait avec les merles ; sous les platanes et les micocouliers, il se développait avec la vigueur d’un jeune animal en liberté. On ne lui adressait aucun des reproches traditionnels dans les familles. Il ignorait les recommandations dont on accable les petits garçons. Jamais on ne lui défendit de grimper dans les branches ou de se glisser sous les haies ; il ne reçut point des taloches pour avoir déchiré sa culotte ou taché sa blouse. Cette première éducation, cet élevage sans contrainte, cette absence de la culture élémentaire ordinaire, eurent certainement, sur la formation du cerveau du jeune sauvageon, qui devait être, un jour, l’un des produits supérieurs de l’espèce humaine, une influence plus déterminante que l’atavisme.