Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

être capturé. Il éprouvait, dans la rue, le soulagement d’un homme qui s’est tiré d’un endroit dangereux. En règle avec sa conscience, puisqu’il avait cherché un emploi et n’en avait pas trouvé, l’Évangile a tort en matière de places, il remontait, presque gaîment, à son belvédère. Il le trouvait moins glacial, et il se remettait, avec entrain et bonne humeur, à son poème commencé, qui lui paraissait plus chaud. Il voulait être poète, rien que poète, pour le moment. Il proclamait fièrement qu’il aimait la poésie pour la poésie, et non pour le laurier. Il considérait ses vers comme des amis qui pensaient pour lui. Il les aimait pour eux, pour ce qu’ils lui disaient. La versification devenait un culte, dont il se consacrait prêtre. Poésie et divinité étaient synonymes à ses yeux d’alors. Il admettait, toutefois, que, comme le prêtre de l’autel, le poète devait vivre de sa poésie. Il ne voulait pas faire une œuvre en vue de la vendre, mais, une fois faite, il trouverait bien que l’œuvre fût vendue par le poète au libraire, et par celui-ci au public. Il a gardé ces justes principes, toute sa vie, et les a fortement exposés, plus tard, dans son article fameux sur l’Argent dans la littérature. Avec philosophie, toutefois, il se disait alors qu’il ne deviendrait jamais millionnaire, que l’argent n’était pas son élément, et qu’il ne désirait que la tranquillité et la modeste aisance. Il ne pressentait pas le formidable champ de prose, qu’il devait si vigoureusement labourer, et d’où, pour lui, lèverait toute une moisson légitime de gloire et d’argent. Il était donc, à cette époque de sa vie, tout à la poésie. Il ne multipliait pas les œuvres et n’abattait point les alexandrins, comme un bûcheron les branches. Sa plume frêle n’avait rien d’une cognée.