Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/84

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du tonnerre de la publicité, de donner au monde son livre, comme des commandements descendus d’un Sinaï, ordonnant d’adorer Shakespeare, et aussi son prophète. Un peu confus, touffu, riche en digressions et pauvre en critique analytique, ce gros ouvrage sur William Shakespeare faisait loi. Il n’y avait nulle originalité à se prosterner, au moment de ce sanctus unanime, dans la cathédrale romantique, où se célébrait la grand’messe en l’honneur du Dieu le Père des hugolâtres. Comprendre et expliquer Shakespeare était plus difficile, plus méritoire. Zola eut cette ingéniosité. Elle est à signaler. …Te répéter tout ce qu’on a dit sur Shakespeare, mandait-il à son camarade, et dire, sur la foi des autres, que nul n’a mieux connu le cœur humain, pousser des oh ! et des ah ! avec force points d’exclamations, cela ne me soucie nullement. N’importe, je vais tâcher de te dire le mieux possible la sensation que fait naître en moi ce grand écrivain. Si je le juge mal, si je me rencontre avec d’autres critiques, je n’en puis mais. Tout ce que je te promets, c’est de parler d’après moi, et non d’après tel ou tel livre. Je ne puis lire Shakespeare que dans une traduction, ce qui ne permet guère d’apprécier le style… J’avoue que je trouve bien des choses qui me choquent, les phrases ici précieuses, là trop crues. Dieu me garde d’être bégueule ! Tu sais combien je désire la liberté dans l’art, combien je suis romantique, mais avant tout je suis poète, et j’aime l’harmonie des idées et des images… … Tout en restant réel par excellence, Shakespeare n’a pas rejeté l’idéal ; de même que, dans la vie, l’idéal a une large place, de même, dans ses drames, nous voyons toujours flotter une blanche vision… Shakespeare me semble donc voir, dans chacun de ses drames, une matière à peindre la vie. Une action quelconque n’est pour lui qu’un prétexte à passions, non à caractères. Elle n’est que secondaire ; ce qui lui importe, c’est de peindre l’homme, et non les hommes. Chaque drame est comme un chapitre séparé d’une œuvre d’humanité ; il y peint un de ses