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avait pas de place dans les chars officiels, furent portés aussitôt au dépôt mortuaire. L’heure était venue de se mettre en route.

À trois heures eut lieu la levée des corps. Sur trois vastes et hauts corbillards s’étagèrent les bières, en forme de catafalques, recouvertes d’un vaste drap noir. Le convoi formé s’espaça : quatre chevaux noirs caparaçonnés, conduits en main par un piqueur des pompes funèbres, en grand costume, avec aiguillettes et bicorne en bataille, traînaient chaque char. Les draperies, larmées d’argent, étaient de velours noir avec des semis d’étoiles blanches. Aux quatre coins des chars sombres flamboyaient des drapeaux écarlates, « des drapeaux couleur de vengeance », a dit Auguste Villiers de l’Isle-Adam en son Tableau de Paris, publié par le journal Le Tribun du Peuple.

Le cortège était précédé de trente clairons, un crêpe enroulé autour du tube de cuivre de leurs instruments. Ils se relayaient, sonnant aux champs. Les sonneries étaient entrecoupées comme de sanglots. Les musiciens nomment ces pauses des « soupirs ». Les notes lancées d’un souffle retenu, aux modulations prolongées, glas militaire, emplissaient l’espace de tristesse. Les tambours aux caisses voilées rythmaient de roulements sourds interrompus le piétinement continu de la foule. Des gardes commissaires, un bracelet de crêpe les désignant, dirigeaient les files, les retenaient en place ; formant barrage, ils régularisaient les ondes du fleuve noir et vivant s’écoulant avec une lenteur tragique. Un demi-bataillon de chasseurs parisiens suivi des musiques de la garde nationale ouvrait le cortège. La célèbre et poignante marche de Chopin, des hymnes funèbres de Beethoven, de Mendelssohn, semblaient, avec leurs harmonies désespérées, clamer la plainte de la foule muette.

Les chars venaient ensuite, encadrés de files de gardes,