Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 3.djvu/318

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et immédiatement derrière s’avançaient : la députation des membres de la Commune, tête nue, en vêtements civils avec l’insigne rouge à franges d’or à la boutonnière, et la députation du Comité Central en uniforme, portant l’écharpe rouge à franges d’argent. En rangs serrés, marquant le pas avec ensemble aux arrêts, les délégations, les corporations et les notabilités des comités, puis les délégués des bataillons ayant pris part aux combats d’avril, suivaient sans armes. Derrière enfin, venait le Peuple, une masse énorme et confuse aux rangs confondus, déroulant ses anneaux vivants tout le long des boulevards ; la queue serpentait encore vers la Madeleine quand la tête touchait au Père-Lachaise. Toutes les classes, toutes les professions et toutes les conditions sociales étaient mêlées dans cet immense défilé. Ainsi les reporters signalèrent la présence d’une physionomie parisienne bien connue, à la tête fine, aux cheveux déjà grisonnants avec la barbiche en pointe : Étienne Carjat, le photographe journaliste, en uniforme de garde du 116e, le bataillon des artistes, comme on le désignait pendant le siège. Carjat, suiveur ordinaire de tous les convois d’hommes célèbres, avait tenu à faire à ces obscurs prolétaires la conduite suprême, comme à des notoriétés.

Au premier rang de la députation de la Commune, on remarquait, digne et le front soucieux, Charles Delescluze. Le grand citoyen savait que ces imposantes funérailles plébéiennes ne seraient pas les dernières. Il se disait, en accompagnant ces premiers lutteurs terrassés, que d’autres morts, aussi vaillants, aussi méritants, suivraient, Ceux-là seraient portés à la fosse commune avec moins de pompe, sans qu’on eût le temps d’organiser pour eux un cortège semblable, sans que la pensée vint même de mettre la cité en émoi pour ce fait devenu quotidien, banal : la mise en terre de victimes de la guerre civile. La mort allait