Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 3.djvu/43

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était : « Destruam ac ædificabo ! » Il n’en a justifié que la moitié. Rhéteur emballé toujours, il fut un démolisseur passionné et ne construisit pas. Il était convaincu de la fécondité des ruines. Il se montra impitoyable chirurgien, taillant, tranchant, amputant dans la chair vive des philosophies du jour comme dans les cadavres des doctrines du passé. Il enfonça sa plume aiguë dans les systèmes d’économie politique comme dans les formules du socialisme, ne ménageant aucune théorie antérieure. Il était persuadé qu’en charcutant à tort et à travers, qu’en promenant au hasard le bistouri dans les parties saines comme dans les purulences mortifiées de la société, il amènerait la guérison. Il fut donc comme l’apôtre, le précurseur des révolutionnaires, des collectivistes, et de nos anarchistes contemporains, qui l’ignorent ou le méconnaissent.

La vie de Proudhon, coupée par de nombreuses détentions, par l’exil, fut tout entière vouée au travail et à la famille. Il eut toutes les vertus domestiques. Il ne fut jamais un politicien, ni ce qu’on appelle, dans les milieux révolutionnaires, un militant : l’action lui échappait. Il vécut dans le Rêve et dans l’Idée, et fut surtout un citoyen du pays d’Utopie.

Bien que mêlé aux événements politiques qui amenèrent et qui suivirent la chute de Louis-Philippe, il fut plutôt spectateur qu’acteur dans la tourmente de 1848. Elu représentant, car les électeurs recherchaient alors les penseurs, les philosophes, les historiens, les poètes aussi, il ne participa que de loin et d’en haut, dominateur et ironique, aux débats généralement terre à terre de l’Assemblée. Il passa, il est vrai, une partie de son mandat en prison ou en exil. Au moment où grondait le canon dans les faubourgs que l’émeute barrait de barricades au faîte desquelles claquait un drapeau rouge, Proudhon fut surpris, se dirigeant vers