Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 3.djvu/45

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M. Viviani, au nom du gouvernement, salua le condamné et le proscrit : « À celui, dit-il éloquemment, qui avait subi les injustices, les calomnies et l’outrage, qui fut tour à tour l’hôte des prisons et le vagabond de l’exil, le premier magistrat de la République et les membres du gouvernement qui l’accompagnent apportent en ce jour, au cœur de sa petite patrie, l’hommage de la grande Patrie. »

Cette louable cérémonie de Besançon eut un peu le caractère d’une exhumation. C’est que Proudhon a survécu à ses œuvres. On le cite encore, mais de seconde main, en usant de ses paradoxes comme d’arguments, et souvent contre les idées qu’il défendait. Son nom pourtant sonne toujours aux oreilles bourgeoises, comme à ses débuts, en tocsin d’émeute. Il effraye ainsi qu’un brigand de la pensée, dont on n’est pas très sûr d’être délivré, et qui, tout à coup, pourrait bien reparaître. Ce vivace croquemitaine, du fond de son tombeau terrifie encore, les gens paisibles, les amis de la tranquillité non seulement matérielle, mais morale. Il est la bête noire, le monstre du Gévaudan pour les adeptes de l’économie politique. On le fuit, on gaze son nom comme ne devant pas être prononcé en bonne compagnie. Tout au plus les corrects messieurs économistes le citent-ils avec dédain, pour rappeler que, dans sa polémique fameuse avec Bastiat sur le capital, il eut le dessous. Très contesté de son vivant, haï surtout de ceux en qui il pouvait chercher des coreligionnaires, des disciples, des amis, de plus mis en quarantaine morale par certains républicains, socialistes nouveaux, il apparaît à notre époque comme un « vieux barbu de 48 », presque démodé, oublié, enterré même. Il se dresse cependant, pour ceux qui savent, ainsi qu’un grand calomnié, victime de la légende, un homme de génie méconnu, ou plutôt sottement et injustement connu. Son nom, prononcé par hasard, amène aussi--