Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/171

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l’œuvre d’art conçue, arrêtée et exécutée, selon un plan fixe, en dehors de toute impression personnelle ? Il me serait difficile de préciser la genèse des Fêtes galantes. Verlaine me communiqua sans doute, au fur et à mesure qu’il les composait, les diverses petites pièces qui formèrent ce recueil, mais il écrivait en même temps des poèmes d’un genre très différent, comme le Grognard, qui me fut dédié, publié par la suite sous ce titre : Un Soldat laboureur (Jadis et Naguère), les Vaincus, etc. Pour moi, les pièces délicates de ce genre Watteau devaient figurer dans un recueil, peut-être former une partie distincte, mais ne furent pas composées d’après un plan d’ensemble.

Je suppose que deux faits contemporains dirigèrent la pensée du poète vers les marquis et les marquises, les Cydalises, les négrillons indiscrets, les Pierrots et les Colombines, et tout le décor des parcs de Lancret et de Fragonard, où chantent, au clair de lune, les jets d’eau sveltes parmi les marbres.

Edmond et Jules de Goncourt venaient de publier plusieurs études fort belles sur le xviiie siècle, sur les artistes gracieux de cette époque charmeuse, les Saint-Aubin, les Moreau ; ils avaient raconté la vie et les aventures des grandes actrices, la Guimard, la Saint-Huberti, et écrit la seule histoire sincère et non diffamatoire de la Dubarry, cette reine des fêtes galantes dont la fin fut si tragique et si disproportionnée. Il est possible que Verlaine ait puisé dans ces travaux le goût de se promener poétiquement dans le monde évoqué par les Goncourt.

Et puis, on venait d’ouvrir au public la galerie Lacaze, au musée du Louvre, et nous ne nous lassions pas d’aller admirer le Gilles, les embarquements pour Cythère, les escarpolettes de Fragonard, les intérieurs de Nattier, les