Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/188

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imaginé pour amuser les enfants petits, petits, petits. Anatole France, Mendès, Mérat, Valade, tous les habitués du salon Ricard se retrouvaient là ; Charles de Sivry, toujours au piano, improvisait, Dumont modulait des airs hongrois sur le zither, Francès, l’excellent comique du Palais-Royal, au masque finaud de curé campagnard, débitait, en enflant la voix et en faisant rouler les r aussi férocement qu’il lui était possible, comment on avait pris Sarragosse. Henri Cros, le sculpteur cirier, modelait, dans un coin, silencieux, la petite tête de la maîtresse de la maison. Villiers de l’Isle-Adam grimaçait et scandait les plus imprévus apophtegmes du Dr Tribulat Bonhomet, Prudhomme épique et Homais monstrueux.

Dans le clan des politiques, on voyait Abel Peyrouton, l’un des fondateurs des réunions publiques du Pré-aux-Clercs et de la Redoute, avocat nerveux, à la parole saccadée, au geste autoritaire, qui venait de prononcer une vigoureuse harangue sur la tombe de Baudin, récemment retrouvée, perdue parmi les sépultures du cimetière Montmartre. Cette trouvaille, la souscription au Réveil, et le procès retentissant fait à Charles Delescluze furent le point de départ de la fortune oratoire et politique de Léon Gambetta. On comptait encore parmi les habitués rouges : le gros et bon Émile Richard, rédacteur au Réveil de Delescluze, futur président du Conseil municipal ; Gustave Flourens, apôtre révolutionnaire destiné à une fin tragique, à Chatou, sous le sabre d’un gendarme ; Raoul Rigault, le fameux procureur et préfet de police de la Commune, qui, à souper, volontiers se chargeait de découper le jambon rose, maniant avec amour le grand couteau, comme s’il eût brandi le glaive légal sur le cou des réacs. Il proposait un toast à Chau-