Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/236

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che du mariage. Il se devine enfin époux, heureux époux ! Il apprend par cœur la bienheureuse lettre de Sivry, et, dans son émotion, oublie de se griser. On ne le revit pas de deux jours à son estaminet d’habitude. Grave symptôme.

Ce fut alors un enchantement de tous les instants. Une féerie. Chaque nuit, il se voyait en rêve, le pied sur cette échelle de Jacob des amoureux, au sommet de laquelle est le ciel, un ciel assurément de lit, car la passion de Verlaine, bien qu’issue d’un sentiment tout idéal et tout immatériel, que je vais essayer de définir, aboutissait, et il l’a confessé lui-même, à la conclusion banale et matérielle de toutes les unions de cette terre : à l’alcôve.

Durant ces quelques semaines d’incubation amoureuse, le poète fut l’objet d’une hallucination passionnelle. Il se composa un amour. Il est certain qu’il a désiré violemment, qu’il a aimé et adoré celle qui devait devenir sa femme, et qu’il l’a par la suite regrettée et redésirée, mais il y eut dans sa passion une grande part d’artificiel, de fictif, et l’on pourrait dire d’artistique. Il aima objectivement, et Mathilde ne fut que la représentation d’un concept de son esprit.

Nous avons déjà dit que les premières relations féminines de Verlaine, et il ne s’en est pas caché, avaient été vulgaires, indignes, honteuses même. En cela, la fin de sa carrière amoureuse devait fâcheusement ressembler au commencement. Il n’avait jamais ressenti l’amour honnête, l’amour pur et vrai, dans le sens d’un sentiment ayant pour objet une personne susceptible d’inspirer, non seulement du désir, mais de l’estime. Il ignorait la passion accompagnée du respect. C’était comme un monde inconnu s’ouvrant à son essor, que