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citadins, raffolant de la musique française et de la bière allemande.

Il fit connaissance, là, d’un certain Bretagne, qui fut également l’ami de Verlaine. Ce gros garçon était « rat de cave », c’est-à-dire employé des Contributions Indirectes. Verlaine l’a qualifié de très brave cœur, grand buveur de bière, poète bachique à ses heures, musicien, dessinateur, entomologiste.

Ce Bretagne, qui était un fantaisiste ignoré, rimant des choses essentiellement folâtres, n’avait pas son pareil, disait-on, pour rédiger, de la façon la plus précise et la plus correcte, les nombreux procès-verbaux qu’il dressait contre les fraudeurs de sucreries.

Ce fut à Charleville, en 1871, que Rimbaud composa une pièce de vers qui le fît connaître comme poète à son arrivée à Paris, et qui, dans son étrangeté, demeure une belle chose : le Bateau ivre.

Toujours hanté du désir de revenir à Paris, il écrivit à Verlaine, le seul poète vivant, nous l’avons dit, qu’il admirât, en lui envoyant son « Bateau ivre ».

Verlaine, surpris de l’hommage, flatté peut-être par une admiration exceptionnelle, dont l’accablait un novateur imberbe, qui faisait profession de mépriser tout, de nier jusqu’aux plus éclatants et indiscutables génies, frappé aussi par l’originalité des vers-échantillons qui lui étaient envoyés, expédia une lettre d’encouragement, lestée d’un mandat, au gamin. En même temps, il fit part à quelques amis de l’arrivée prochaine d’un jeune prodige « qui nous épaterait et nous enfoncerait tous ».

On attendit, avec une curiosité un peu sceptique, le phénomène. Verlaine avait offert l’hospitalité. « Venez, chère grande âme, lui écrivait-il, on vous attend, on vous désire. »