Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/331

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oreilles de Verlaine, parmi le calme champêtre, et tandis qu’il jetait sa ligne dans le courant rapide et froid de la Semoy, abritant des truites en ses fosses profondes, il sondait la situation et se préoccupait des agissements de sa femme. Il est évident qu’il souhaitait pardon, oubli, réunion. Aussi, l’idée qu’elle avait pu lui donner un remplaçant le hantait et le tourmentait. Il ardait de savoir à quoi s’en tenir, dût la vérité l’incendier, le carboniser. Comme tous les jaloux, il prétendait désirer connaître seulement la vérité et savoir « à quoi s’en tenir ». La révélation d’une infidélité de celle qu’il considérait toujours comme sa femme, comme sa moitié légale, l’eût désespéré. Il s’ouvrit à moi de ce désir, dans la lettre qu’on va lire. On remarquera que le mari, l’amoureux, sait aussi faire place aux préoccupations de l’homme de lettres, et qu’il interrompt, pour me parler de la publication des Romances sans paroles, la narration de ses soucis conjugaux.


Jéhonville, vendredi 16 mai 1873.
Mon cher Edmond,

J’ai reçu hier ta lettre du 12, la poste a de ces facéties-là surtout dans cette indolente Belchique !

Je suis heureux de ce que tu me dis relativement au manque de bruits, symptôme évident d’une tenue encore convenable.

Quant à présent, ce que je veux c’est bien simple ; écoute :

Après plus de six mois de séparation de fait, sans qu’il y en eût de ma part la moindre volonté, au contraire, après un jugement qui momentanément, mais indéfiniment, m’ôte tout pouvoir sur ma femme et mon fils, enfin, après tous les bruits répandus par le monde, et sur papier timbré, je crois qu’une séparation amiable, outre qu’elle n’empêcherait pas mes adversaires de revenir, si cela leur plaît, aux procédés judiciaires, ça pourrait alors s’appeler du chantage, me semble une demi-mesure qui ressemblerait, de ma part, à un aveu tacite. En un mot c’est impossible.