Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/405

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ont abreuvé ma captivité, dont ils sont cause, et combien je rougis de m’être jeté dans des pièges si grossiers ! Il est clair qu’ils essaieront de tout quand je serai libre, mais à toute caresse comme à toute menace je crierai « À bas les pattes ! »… À moins qu’un jour… ma femme ne revienne à résipiscence, à son ménage, loin de son papa, de sa maman, moment que je n’aperçois pas. En ce cas, elle trouvera l’oubli complet, le pardon, le bonheur, mais que dis-je là ? [Ici je supprime un jugement peu charitable, et peut-être téméraire], tu me comprends du reste. Si tu savais comme je suis détaché de tout, hormis de la prière et des méditations !

Amitiés chez toi.
Ton P. V.


On voit par cette lettre que les sentiments de dévotion faisaient de plus en plus de Verlaine un autre homme ; en outre, il était malade, et n’avait plus qu’un vague espoir de reprendre la vie conjugale. Visiblement, il éprouvait un accablement de plus en plus profond. Il s’attendait à recevoir sa grâce, et elle n’arrivait point. Les jours se passèrent sans que la bienheureuse délivrance sonnât à la triste horloge de Mons, dont le détenu comptait anxieusement les minutes. Le silence officiel répondait seul à ses appels à la clémence royale, à l’amitié parisienne. Il était le naufragé dans la nuit, qu’une lueur trompeuse entrevue a réchauffé d’espérance, et qui, se retrouvant perdu dans l’obscurité sourde, s’abandonne et roule, épave hasardeuse, presque inerte, dans l’inconscience et dans l’oubli de tout, désespéré, ou, plutôt, ce qui est pis, devenu incapable d’espérer.

La prison cependant avait été pour lui, en quelque sorte, inspiratrice, presque génératrice. Phénomène rare. La plupart des écrivains, des philosophes, des poètes, des tribuns et des politiques, qui ont subi une longue détention, ont vu leur imagination s’étioler et leur impulsion