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LA LÉGENDE DE PAUL VERLAINE

d’âme, très fortes, dont il a conservé le souvenir dans divers passages de ses livres.

Les pharisiens, les sots, les méchants, pourront commenter avec malveillance cette attraction que, toute sa vie, Verlaine éprouva pour des amis d’élection. La légende dont il porte le poids peut, en apparence, se trouver confirmée par ces élans, presque passionnels, vers des camarades. Pourtant, ces amitiés masculines ne sont pas sans exemple. L’antiquité est toute ornée des affections idéales de purs héros ou de sages vénérables, dont la calomnie historique n’osa point rabaisser à un vulgaire accouplement l’union toute cérébrale. Nisus et Euryale, dont l’amitié fournit à Virgile un chant épique, l’immortel Achille pleurant et vengeant Patrocle, et non Ménélas et les Grecs (sans Patrocle il n’y aurait pas eu d’Iliade), enfin cette héroïque légion Thébaine, qui se fit massacrer, à Chéronée, offrent l’exemple de ces amours non charnelles, de ces affections platoniques entre êtres du même sexe. On pourrait même trouver, au pied de la Croix, dans le regard suprême dont le divin supplicié enveloppa Jean, le disciple « qu’il aimait », dit le texte évangélique, une explication de ces amitiés masculines dont reproche fut fait, tour à tour sournoisement et hautement, au poète, qui aima cependant fortement la femme, et qui souffrit toute sa vie de l’abandon d’une, — qui était la sienne.

Paul Verlaine est entré dans la gloire. Sa mort fut un deuil pour les lettres, et ses obsèques eurent un caractère d’apothéose. Il est considéré comme chef d’école, comme un des rénovateurs de la poésie moderne. Sa renommée est considérable à l’étranger. En France, il n’a pas encore obtenu la consécration officielle et populaire de son génie.