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PAUL VERLAINE

intellect eut sa croissance. Il ressentit, dans la vieille cité épiscopale, ses primes impressions. Il les a relatées en des pages charmantes. Son croquis de l’Esplanade, rendez-vous des officiers, des dames de la société messine, et théâtre des jeux des enfants de la bourgeoisie, est vif et coloré :


L’Esplanade, très belle promenade, donne en terrasse sur la Moselle qui s’y étale, large et pure, au pied de collines fertiles en raisins et d’un aspect des plus agréables. Sur la droite de ce paysage, en retrait vers la ville, la cathédrale profile à une bonne distance panoramique son architecture dentelée à l’infini. Vers la nuit tombante, des nuées de corbeaux reviennent en croassant, faut-il dire joyeusement ? reposer dessus les innombrables tourelles et tourillons qui se dressent sur le ciel violet. Au centre de la promenade s’élevait, et doit encore s’élever, une élégante estrade destinée aux concerts militaires, qui avaient lieu les jeudis après-midi et les dimanches ensuite de vêpres. Le « Tout-Metz » flâneur ou désœuvré s’y donnait ces jours-là, à ces heures-là, rendez-vous. Toilettes, grands et petits saluts, conversations, flirts probablement, agitations d’éventails, brandissage et usage du lorgnon, alors un monocle carré, ou du face-à-l’œil de nacre ou d’écaille, ce face-à-l’œil qui a essayé de ressusciter ces temps derniers, entre tant de modes du passé, toutes ces choses intéressaient à l’extrême mon attention gamine et parfois malicieuse, plutôt en dedans, bien que parfois des mots d’enfant terrible m’échappassent sur les gants un peu passés de Madame Une-Telle, ou sur le trop court ou trop collant nankin du pantalon de Monsieur Chose, tandis que ma puérile mélomanie s’enivrait des airs de danse de Pilodo, ou de solos de clarinette, ou de la mosaïque sur le dernier opéra-comique d’Auber ou de Grisar… (Confessions, Ire partie.)


Il ébaucha, sur cette Esplanade, une de ces amourettes enfantines, dont le souvenir persiste et parfume toute l’existence. Parmi les nombreux enfants qui venaient jouer sur l’Esplanade, sous l’œil des parents, se trouvait