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ENFANCE

nent, se gravent à jamais dans la mémoire d’un enfant : il faillit avaler un scorpion dans un bol d’eau, et il se brûla le bras, en le plongeant imprudemment dans une bouillotte d’eau chaude.

Autre séjour. On l’emmena à Nîmes. Son père avait été envoyé avec un détachement de troupes, pour maintenir l’ordre, au moment de la révolution de 1848. Ce ne fut qu’une halte. Nul trace ne lui était restée de ce déplacement, brusque et court comme les événements qui l’avaient motivé. Il affirme avoir gardé pourtant très nette la vision d’une cérémonie : la proclamation de la République, à laquelle il assista, sur la place d’armes de Montpellier, en grande tenue de petit bourgeois, collerette avec broderies, pantalon, brodé aussi, descendant à mi-jambes, casquette à long gland retombant sur le côté.

La famille Verlaine revint bientôt à Metz, avec le régiment. Ce fut l’époque de la première enfance consciente, celle où s’éveille l’imagination, où le cerveau acquiert la compréhension et la comparaison. Alors les idées générales, recueillies d’après des leçons données et des enseignements surpris au hasard des propos attrapés au vol, se combinèrent dans son intellect. Son cerveau se forma et son esprit se meubla, dans cette ville de Metz, pour laquelle il conserva, avons-nous dit, jusqu’à sa mort, une patriotique et filiale affection.


J’y ai vécu peu d’années, dit-il, d’accord, mais c’est là, en définitive, que je me suis ouvert, esprit et sens, à cette vie qui devait m’être, en somme, si intéressante ! Puis, n’est-elle pas, cette noble et malheureuse ville, tombée glorieusement et tragiquement, abominablement tragiquement ! après quels combats immortels ! par la trahison, trahison comme il n’en est pas dans l’histoire, entre les mains de l’ennemi héréditaire ? Si bien que pour rester Français, à vingt-huit ans, après avoir