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Page:Lepelletier - Paul Verlaine, 1907.djvu/78

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PAUL VERLAINE

tions, et qui lui apparaissait comme un hôpital déjà rural.

Bien que j’eusse fait tout mon possible pour le décider à venir prendre un peu de repos chez moi, à la campagne, aux environs de Paris, et qu’il m’eût dit, écrit, promis cent fois d’accepter ma cordiale hospitalité, il ne put jamais se décider à monter dans le train pour venir jusqu’à Bougival.

Et cependant tout était prêt pour le recevoir : chambre fraîche et gaie, donnant sur la Seine, avec les verts peupliers de l’île de Croissy en face, table de travail, avec dictionnaires français et anglais, la collection des poètes modernes, les classiques aussi ; et puis, le pot de tabac garni ; un choix de pipes en terre, en bois, en écume, un divan pour les siestes, et un bateau pour aller flâner à la dérive, le long des berges. De plus, il était assuré de rencontrer de fraîches tonnelles où savourer l’apéritif, en écoutant le chant des oiseaux. Rien n’y fit. Il demeura dans son quartier latin.

Une fois, cependant, je crus bien l’entraîner, l’embarquer, comme s’il s’agissait d’un long voyage. Il m’avait suivi jusqu’à la gare Saint-Lazare, mais au dernier moment, il prétexta une lettre à mettre à la poste, et je ne le retrouvai qu’une demi-heure après, quand, las de l’attendre, j’allais prendre mon train. Il était attablé dans un des cafés avoisinant la gare, devant une « purée » sérieuse, couleur de jade, succédant à d’autres purées non moins verdâtres, de véritables « bureaux arabes », selon l’expression des Chass’ d’Aff. L’ivresse commençait, et il était tout à fait résolu à ne pas me suivre, prétendant qu’il avait, le soir même, un rendez-vous important avec un éditeur, mais jurant qu’il viendrait le lendemain. Je m’éloignai, en hochant la tête… Jamais il n’est venu.