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PLAISIRS RUSTIQUES

s’occupait. Peut-être, au contraire, l’étrangeté du poète, débitant des insanités dans un rôle d’amoureux grotesque, fit-elle impression sur la jeune personne, et plus tard, quand ils se rencontrèrent, rue Nicolet, présentés l’un à l’autre comme s’ils ne s’étaient jamais aperçus, le souvenir de la soirée de l’atelier Bertaux valut sans doute au poète saturnien, doublé d’un comique, un regard curieux, un accueil aimable. Les clowns, les pitres, les farceurs scéniques, même les plus laids, on peut dire surtout quand ils sont très laids, ont toujours un attrait inexplicable, et leurs conquêtes sont innombrables. C’est probablement le personnage comique du Rhinocéros, plus que le poète des Fêtes galantes, qui valut à Verlaine sourire et douce poignée de main, avec un compliment, lors de l’initiale entrevue. Peut-être que, sans ce Rhinocéros, ce ténor en route, et le hasard du rôle confié à lui, Verlaine n’eût jamais été amené à franchir le seuil de cette maison de la rue Nicolet, paradis tôt mué en enfer. Mais, comme les livres, les opérettes ont leur destinée, et notre saynète-bouffe devait, pour l’un des interprètes, tourner au drame.

Verlaine, parce qu’il avait en tête des idées de théâtre, suivait assidûment, tour à tour à Montmartre et à Batignolles, les représentations de la troupe Chotel. Alors, dans ces deux théâtres de quartier, réunis sous la même direction, on changeait l’affiche tous les huit jours. Chaque troupe jumelle émigrait, avec le drame joué toute la semaine, et Batignollais et Montmartrois avaient ainsi, tous les samedis, une première. On donnait les drames et les comédies à succès des théâtres de Paris ; on jouait aussi, quand les nouveautés manquaient, des drames du répertoire de l’Ambigu et de la Porte-Saint-Martin, car les pièces en vogue n’auraient pas suffi, à