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Page:Leprince de Beaumont - Le Magasin des enfants, 1843.djvu/23

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PREMIER DIALOGUE.

ne pouvait la souffrir ; il disait que c’était une statue, un automate, qu’elle n’avait pas d’âme : je ne savais ce que cela voulait dire. Un jour, ces deux dames, qui sont si laides, étaient avec moi, je leur ai demandé quelle différence il y avait d’elles à madame Matha. « Vraiment, ma chère, m’ont-elles répondu, vous devez le voir ; elle est belle, et nous sommes laides. — Je le sais bien, leur ai-je dit : mon papa répète cela tous les jours : mais il dit aussi que vous êtes aimables, et qu’elle ne l’est pas ; qu’elle est une belle statue, un automate. Je ne sais pas ce que c’est qu’un automate ; mais je croyais qu’une statue était de pierre ou de bois : d’ailleurs, je croyais qu’on ne pouvait pas vivre sans âme ; cependant il dit que madame Matha n’en à point. » Ces deux dames ont ri ; et après cela, elles m’ont dit qu’une femme était aimable quand elle avait de l’esprit, et qu’on appelait les sottes, des statues ou des automates ; parce qu’un automate était une machine qui marchait, jouait de la flûte, et faisait plusieurs autres choses, quoiqu’il ne fût qu’une statue, faite d’un morceau de bois, qui n’avait point d’âme, et qui ne pensait pas ; et que ces sottes parlaient, marchaient, et faisaient tout sans penser, comme l’automate. « Ah ! mesdames, leur ai-je dit, enseignez-moi comment il faut faire pour apprendre à penser ; je serais bien fâchée d’être automate. Où avez-vous pris votre esprit, qui vous rend aimables, malgré votre visage ? — Nous l’avons pris dans les livres, m’ont-elles répondu, en nous appliquant à nos leçons, quand nous étions jeunes. » Depuis ce temps, j'ai tout quitté pour travailler à acquérir de l’esprit, et J’en ai déjà beaucoup, car tout le monde le dit ; mais j’en veux avoir encore davantage, et pour cela je lis toute la journée.

ADELINE.

Je vous prie, dites-moi, ma chère, à quoi cela est-il bon, d’avoir tant d’esprit ?

JULIETTE.

À quoi cela est bon ! à mille choses. L’année passée je m’ennuyais à l’assemblée de papa, on me traitait comme une petite fille : à présent tout le monde me parle, et je parle aussi ; on