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dire, j’étais content de te voir avec ton visage efféminé donner une volée à ce lourdaud que j’appelle mon ami, qui m’a battu moi-même plus d’une fois. Ne rougis pas et ne prends pas cet air de mécontentement lorsque je parle de ta jolie figure, tu en seras bien fier lorsque tu connaîtras un peu plus la vie : oui, aussi fier que je le suis de la mienne !

Et il se pencha pour se mirer dans l’eau de la cuve.

— Tous ces imbéciles, continua-t-il, mon bon ami y compris, savent-ils de quel poids est dans le monde la beauté, soit chez la femme, soit chez l’homme, tant qu’elle dure ?

Armand, qui trouvait que son jeune et philosophe ami devenait un peu trop profond pour lui, s’empressa de répliquer qu’il aimerait mieux être privé de cette beauté incertaine qui lui attirait les moqueries et la persécution de ses camarades.

— Il n’est pas éloigné, maître Armand, le jour où tu penseras autrement, où tu estimeras le prestige qu’elle te gagnera bien plus que le respect étonnant que tu as acquis aujourd’hui de tes condisciples de collège par ton courage.

Tout en parlant de la sorte, notre jeune et précoce orateur se pencha encore plus sur l’eau et il regarda d’un air plus pensif la belle figure classique que le miroir lui renvoyait. Sous le rapport des connaissances Armand Durand était bien en arrière de lui, car celui-ci avait lu des romans et y avait puisé des connaissances dont il pouvait fort bien se passer.