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LE MANOIR DE VILLERAI

étaient presque inintelligibles : Rose, il pressa la main de sa fille penchée vers lui, et tournant ses yeux mourants vers madame Lauzon, il lui dit :

— Femme, laisse-la avec moi jusqu’à la fin.

Ô étrange perversité du cœur humain ! Même dans l’affreuse solennité de cette heure suprême, le cœur de cette femme se remplit de sentiments de colère et de jalousie ; mais elle n’osa pas s’opposer à la volonté d’un mourant. Et lorsque, quelques heures plus tard, le bon Joseph Lauzon passa au repos éternel, c’était sur le bras de sa fille que sa tête reposait.


XV


C’était le jour des funérailles de Joseph Lauzon. Ce matin-là, ses restes mortels avaient quitté sa chambre pour une demeure encore plus étroite et plus pauvre. Rose, assise près du lit vide, le front courbé sur le coussin où la tête de son père avait si longtemps reposé, était bien triste. Elle était vraiment plongée dans une immense désolation ; et, dans l’amertume de sa douleur, elle demandait instamment au ciel de partager bientôt avec son père le repos du paisible cimetière.

Mais le bonheur de s’abandonner tranquillement à sa peine ne lui fut pas longtemps accordé. Bientôt la porte de la chambre s’ouvrit, et la nouvelle veuve lui demanda brusquement :

— Vas-tu bientôt préparer le déjeuner de ces pauvres enfants, ou bien entends-tu passer toute la journée à pleurer ?

Essuyant les larmes qui roulaient dans ses yeux, la malheureuse fille se leva, et, sans prononcer une parole, elle passa dans une autre chambre. Les yeux de la belle-mère, cependant, étaient restés fixés sur elle avec un air de surprise, car Rose était vêtue d’une robe noire, qui, sans être entièrement neuve, était cependant d’un tissu et d’une coupe bien supérieure à ce que portaient ordinairement les personnes de son rang.

D’une voix empreinte d’une profonde jalousie qu’elle ne put maîtriser, madame Lauzon demanda où Rose avait eu une si belle robe.