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Page:Leprohon - Le manoir de Villerai, 1925.djvu/106

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LE MANOIR DE VILLERAI

— La servante de madame Deschamps ma l’a apportée ce matin de la part de cette dernière. Elle m’a dit que c’était en paiement de la couture que je lui ai faite.

— Tu as fait vraiment, dit-elle d’un air de moquerie, beaucoup de couture pour gagner une aussi belle robe de mérinos, bordée d’aussi larges garnitures de crêpe, et qui, je suis sûre, n’a pas été portée deux mois. Il est bien convenable que tu sois habillée comme une dame, tandis que moi, la veuve de ton père, je n’ai qu’une misérable robe de calicot blanc et noir à porter.

Rose était trop triste, trop fatiguée pour répondre à de tels reproches, qu’elle avait d’ailleurs à peine compris. Aussi, elle continua de vaquer à ses devoirs domestiques machinalement, mais aussi habilement que d’habitude.

Le lendemain matin, à son heure accoutumée, la gentille et malheureuse souffre-douleur de la maison était levée. Elle remplit, d’une manière irréprochable, pendant tout ce jour, qui lui parut bien long et bien ennuyeux, sa tâche fatigante ; elle supporta patiemment tous les caprices tyranniques des enfants mal élevés de sa belle-mère ; et quand enfin, avec le soir, vint un moment de répit, après avoir endormi la jeune famille et tout arrangé proprement dans la maison, elle se rendit promptement au cimetière pour dire une courte prière sur la tombe de son père.

Elle n’osa s’absenter bien longtemps : mais son absence, quelque courte qu’elle fut, parut suffisante pour irriter l’esprit impérieux de madame Lauzon, déjà piquée par le cadeau de la robe. Lorsque Rose rentra à la maison, la belle-mère qui était occupée à bercer un vigoureux enfant de trois ans, le plus jeune de la bande, l’apostropha rudement.

— Où as-tu été, mademoiselle ? réponds-moi tout de suite.

— Au cimetière, fit-elle doucement.

— Au cimetière ! Tu en es donc encore revenue à ton ancien jeu, d’imiter les grandes dames ! Tu n’as donc rien à faire, si ce n’est que d’aller au cimetière et montrer partout ton nouveau deuil, me laissant toute seule à la maison, et abandonnant ce pauvre petit qui criait à en mourir.

Pour rendre justice à Rose, nous devons dire que ce pauvre petit dont on parlait avec tant de pitié, était celui que nous avons vu tantôt reposer sur les genoux de sa mère, et que