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Page:Leprohon - Le manoir de Villerai, 1925.djvu/138

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LE MANOIR DE VILLERAI

encore un instant, Rose, et je vous raconterai la dernière entrevue que j’ai eue avec elle. Le chirurgien m’ayant ordonné d’aller à la campagne dès que ma blessure me permettrait de faire le voyage, j’acceptai les pressantes et incessantes invitations de madame Dumont, et je me rendis à Villerai. Pendant que j’étais là, je fis des recherches indirectes sur votre sort, mais sans résultat. J’appris seulement que votre père était mort, et que la cruauté de votre belle-mère vous avait forcée, peu de temps après, à quitter la maison. Les gens à qui je m’adressai ne purent me dire où vous étiez allée ; mais ils m’assurèrent que monsieur le curé pourrait certainement m’en instruire. Je prévoyais bien la manière dont le bon prêtre recevrait probablement mes questions sur votre compte ; mais vu l’affreux état d’incertitude dans lequel je me trouvais, et ne sachant si vous n’étiez pas exposée aux épreuves et aux dangereuses tentations de la pauvreté, je devins presque insensé, et je me présentai courageusement au presbytère. M. Lapointe, quoique d’abord peut-être un peu froid, fut excessivement poli ; mais il refusa de me donner le moindre renseignement sur le lieu de votre résidence, et se contenta de m’assurer solennellement que vous étiez parfaitement à l’abri du besoin et des mauvais traitements. Cette certitude me suffit pendant quelque temps ; mais bientôt mon ancien désir de savoir où vous étiez, ou pour vous parler franchement, Rose, de vous voir encore une fois, se fit sentir plus fort que jamais, et, la veille de mon départ de Villerai, je me rendis à la résidence de votre belle-mère, résolu, soit en la flattant, soit en la menaçant, d’obtenir les renseignements que je désirais. Ah ! Rose, quelle entrevue ! quel aperçu j’ai eu de tout ce que vous avez souffert, souffrances, hélas ! que je vous ai causées, je le crains bien, par ma propre irréflexion. Vous, Rose, qui avez refusé de devenir ma femme aimée et honorée, vous décriée, accusée… Mais je ne blesserai pas votre délicatesse en vous répétant toutes les calomnies de cette femme infâme. Il suffira de dire que je revins à Montréal le découragement et le désespoir dans l’âme, abandonnant l’espérance de jamais découvrir le lieu de votre retraite ; quand, si heureusement et contre toute attente, je vous rencontrai aujourd’hui, et vous suivis. Mais vous