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Page:Leprohon - Le manoir de Villerai, 1925.djvu/142

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LE MANOIR DE VILLERAI

bonheur, mais, au contraire, vous avoir exposée à beaucoup de dangers et à beaucoup de périls. C’est cette beauté qui attire près de vous des hommes tels que de Noraye et de Montarville, gens qui, demain, ne vous jetteraient pas même un regard, si la douceur de votre peau ou l’éclat de vos yeux vous abandonnaient. Éloignez-les, mon enfant, chassez-les loin de vous ! Ils ne veulent cueillir la fleur que pour la fouler aux pieds, saisir le bijou que pour le briser et le détruire.

Rose écouta dans un silence respectueux. Elle fut bien affligée pourtant d’entendre le chevaleresque de Montarville placé au même rang qu’un homme comme Gaston de Noraye ; mais à cause de lui-même elle n’osa pas parler en sa faveur. Et quand madame de Rochon lui conseilla d’aller se coucher jusqu’à l’heure du souper, elle accepta cette permission avec reconnaissance et en silence.

Ce fut la physionomie troublée que cette digne femme se remit à son ouvrage ; une fois elle s’arrêta, et déposant son tricot, elle dit d’un air pensif :

— Oui, je suppose que ce jeune de Montarville l’aime à sa manière, l’aime pour le quart d’heure, à cause de sa merveilleuse beauté. La meilleure protection, par conséquent, contre ses dangereux hommages, c’est ma vigilance, l’abri de mon toit ; et si elle l’aime, elle a encore plus besoin de mes soins et de mes conseils. Oh ! l’envoyer de chez moi, ce serait la jeter dans ses bras !

Et ainsi pensait et raisonnait cette bonne Samaritaine. Si son jugement n’était pas d’accord avec les maximes du monde, au moins il était plein de charité chrétienne.


XIX


Le lendemain de l’entrevue que nous venons de raconter entre Rose et le capitaine de Montarville, un groupe d’officiers se tenait au coin de la Place d’Armes, occupés à plaisanter, à rire et à critiquer les passants, principalement ceux du beau sexe.

— Bien, dit l’un d’entre eux, un jeune homme à l’extérieur faible et délicat, habillé avec la plus fastidieuse élé-