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LE MANOIR DE VILLERAI

Cette émotion secrète qui l’avait si cruellement saisie, lorsque dans une autre occasion Blanche de Villerai elle-même l’avait si instamment conjurée de parler et de prouver son innocence, lui perça de nouveau le cœur. Pourquoi, pourquoi fallait-il qu’elle, si irréprochable dans ses actions comme dans ses pensées, parût toujours coupable à ceux à l’estime et à l’affection desquels elle tenait le plus ? Pourtant, que pouvait-elle dire ? Même pour Blanche, même pour celui qu’elle aime plus tendrement que jamais, elle doit garder le silence.

— Vous ne voulez pas, ou n’osez pas parler ? fit madame de Rochon d’une voix plus sévère qu’auparavant.

— Oh ! ma douce, ma noble bienfaitrice ! s’écria tout à coup la jeune fille en larmes, prenant la main de madame de Rochon dans les siennes avec un regard suppliant, je sais que les apparences sont contre moi ! je sais qu’il y en a assez pour attirer sur moi des soupçons et du blâme ! mais, oh ! croyez-moi, je suis innocente même de l’ombre d’une faute. Je vous dirais volontiers tout ; je vous ouvrirais volontiers mon cœur ; mais, hélas ! je possède aussi les secrets d’un autre, et je dois les tenir pour sacrés.

Madame de Rochon garda un instant le silence. L’excuse, si toutefois elle méritait ce nom, était moins que satisfaisante ; mais le ton en était si éloquent, la voix si touchante, et le cœur de la dame si bon et si tendre, qu’elle reprit enfin :

— Bien, qu’il en soit comme vous désirez, Rose. Je ne vous interrogerai plus sur le passé, et j’oublierai les événements de ce jour ; mais à condition que vous me promettiez solennellement, en retour, de ne jamais rencontrer ni recevoir le capitaine de Montarville.

— Je vous fais volontiers cette promesse, et si jamais j’y manque, ma bienveillante protectrice, je ne ferai pas entendre le moindre murmure, même si vous me chassez de ce toit, sous lequel se sont écoulés les plus heureux jours de ma vie.

— Pauvre enfant, reprit madame de Rochon en caressant de la main la chevelure soyeuse de sa jeune compagne, cette rare beauté qu’une miséricordieuse Providence, pour accomplir sans doute ses vues très sages, vous a accordée, semble ne vous avoir apporté jusqu’ici que bien peu de