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LE MANOIR DE VILLERAI

derrière elle la résignation et l’abondance, Blanche entendit au second étage les sanglots entrecoupés d’une personne dont la voix exprimait un grand chagrin ; et comme la porte de la chambre d’où venaient les gémissements était entr’ouverte, elle la poussa doucement et entra.

Une femme vêtue des plus misérables haillons de la pauvreté, était penchée au-dessus d’un grabat, sur lequel reposait une forme humaine rendue immobile par le sommeil ou par la mort. Elle murmurait des prières mêlées de lamentations.

— Vous paraissez bien malheureuse ! s’écria doucement mademoiselle de St-Omer, en plaçant sa main sur le bras de la pauvre femme.

— Malheureuse ! répéta celle-ci avec un regard d’angoisse inexprimable. Voyez, là gît mon enfant, mon unique soutien, ma seule consolation sur la terre ! Il y a sept jours, il était plein de vie et de force, et aujourd’hui…

Elle s’arrêta brusquement, et, relevant une couverture usée, montra le cadavre d’un jeune homme de quinze ans, dont la physionomie livide ne laissait voir qu’une masse de cicatrices.

— Ciel ! que vois-je ? demanda Blanche en pâlissant, lorsqu’elle eut jeté un regard sur ce hideux spectacle.

— La picotte, répondit la mère affligée, qui oubliait dans son chagrin les craintes et les dangers des autres.

Mademoiselle de St-Omer, la figure blanche comme le drap qui couvrait le mort, poussa Blanche devant elle hors de la chambre, et jetant quelques pièces de monnaie sur le plancher, elle se hâta de sortir de cette maison avec sa compagne[1].

Arrivée chez elle, elle s’empressa de faire plusieurs décoctions de plantes et de composer différentes tisanes qu’elle fit prendre à Blanche, tout en la soumettant à des mesures de précaution qui, sans aucun doute, exciteraient de nos jours le rire des lecteurs. Pendant toute la soirée, elle fut dans un état d’anxiété fiévreuse, demandant à chaque instant comment Blanche se trouvait, et regrettant vivement

  1. Le lecteur aura la bonté de se rappeler qu’à cette époque l’usage de la vaccine était quelque peu inconnu ; et par conséquent la petite vérole était fort redoutée tant par les riches que par les pauvres.