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Page:Leprohon - Le manoir de Villerai, 1925.djvu/170

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LE MANOIR DE VILLERAI

sera maintenant comme c’était autrefois, il y a bien longtemps, dans le vieux manoir, quand j’étais heureuse et gaie de cœur, malgré ma belle-mère et toutes mes tribulations d’enfant.

Blanche regarda sa compagne avec intérêt ; car, quoique ses joues fussent toujours colorées et arrondies, ses yeux limpides et brillants, il y avait des traces bien visibles de peine et de douleur mentales autour de sa petite bouche, et une expression de chagrin calme et étouffé qui ne disparaissait plus.

Blanche reprit en soupirant.

— Je crois, Rose, que les années et la connaissance du monde nous ont apporté à l’une et à l’autre très peu de bonheur ; mais la joie ou la peine sur la terre n’est qu’un rêve, d’où la mort nous fait sortir. Il y a un jour ou deux, combien j’étais près du terme de ma carrière ! Mais vous commencez à paraître inquiète, comme si vous craigniez que je parle trop : aussi nos lèvres, sinon nos pensées, vont s’arrêter pour quelque temps.

La convalescence de Blanche fut lente mais sûre, et la compagnie de Rose, bien plus intéressante et bien plus agréable que celle de la bonne demoiselle de St-Omer, contribua beaucoup plus que toutes les tisanes fortifiantes à lui rendre la santé. Mademoiselle de St-Omer, maintenant délivrée de ses inquiétudes touchant sa malade, se trouva en mesure de reprendre la plus grande partie de ses courses et de ses visites ordinaires de charité.

Des lettres du capitaine de Montarville, qui était à son régiment, venaient fréquemment rompre la monotonie de la chambre de la malade ; mais, chaque fois que Blanche recevait quelqu’une de ces missives, elle soupirait ordinairement après l’avoir lue et la plaçait dans un écritoire, d’où elle ne la tirait jamais pour la lire une seconde fois. Pourtant ces lettres étaient pleines de tendresse et d’affection, et depuis l’instant où Gustave eut connaissance de la dangereuse maladie de sa fiancée, elles devinrent tendres et dévouées.

Quand mademoiselle de Villerai fut assez bien pour se lever et marcher dans sa chambre, elle s’approcha tranquillement d’une glace, et put voir les tristes ravages qu’a-