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LE MANOIR DE VILLERAI

votre beauté, dont vous avez parlé ce soir, existent plus en imagination qu’en réalité, et…

— La paix, s’il vous plaît, mon frère, dit-elle en l’interrompant doucement. Je sais bien que les domaines et la seigneurie de Villerai ne manqueront jamais d’admirateurs, ni leur maîtresse de prétendants, tant qu’elle les possédera ; par conséquent, quand je désirerai renoncer au célibat, je suppose que je pourrai le faire sans beaucoup de difficulté. Mais j’espère, Gustave, que vous ne partagerez pas, vous aussi, cette erreur vulgaire et banale, qu’une femme non mariée doit nécessairement être malheureuse. Pensez-vous que dans l’exercice de la charité et des bonnes œuvres, dans le commerce de l’amitié et d’une agréable société, dans les ressources de sa propre intelligence et des compagnes qu’elle peut choisir, il lui soit impossible de trouver de quoi passer son temps et remplir son âme ? Certainement, et je vais vous communiquer une de mes fermes résolutions, c’est que, bien que je puisse peut-être me marier dans la suite, si je trouve un homme que j’aime et que je respecte tout à la fois, je ne le ferai certainement jamais pour plaire aux autres et éviter le titre si redouté de vieille fille. Mais je vais maintenant vous envoyer Rose ; car je demande comme récompense d’avoir servi à faciliter l’accomplissement de vos vœux, le privilège de lui annoncer la première le bonheur qui lui est réservé.

Avec la tendresse et la douceur d’une sœur aînée ou d’une mère, Blanche, pénétrée de la noblesse et de la reconnaissance que la jeune fille lui avait si longtemps montrées, lui communiqua ce qui s’était passé dans sa dernière entrevue avec de Montarville ; et comme Rose répandait sur son sein des larmes de bonheur et de gratitude, elle lui murmura à l’oreille avec quel orgueil et quel plaisir elle ferait elle-même tous les préparatifs du mariage, et lui fit comprendre que peu de fiancées pourraient se vanter d’avoir un plus riche trousseau que Rose Lauzon.

Raconterons-nous l’entrevue de Rose et de son amant passionné ? Dirons-nous quels vœux ardents, quelles promesses et quelles énergiques protestations d’amour il fit, et comme elle, de son côté, pleura, sourit, écouta, doutant toujours si elle n’était pas sous l’influence d’un rêve de bon-