Page:Leprohon - Le manoir de Villerai, 1925.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
LE MANOIR DE VILLERAI

petite fille, elle fut emmenée dans cette maison, pour me servir de compagne dans mes jeux, et elle partagea ainsi les instructions de mademoiselle Rocrai, ma gouvernante. Quand j’allai au couvent, ma tante Dumont l’y envoya aussi pendant trois ans, faveur que M. Lapointe, notre bon curé, avait lui-même sollicitée pour elle, car Rose est une de ses grandes favorites. Au bout de ce temps, elle revint chez elle, possédant une éducation infiniment au-dessus de sa position dans le monde.

— Et la croyez-vous plus heureuse pour cela, mademoiselle ? demanda de Montarville.

— Je crains bien que non, répondit-elle pensive. Il y a quelques années, sa mère qui était une femme très douce et très aimable, mourut. Le père se maria de nouveau, et son second choix fut de nature à lui faire déplorer amèrement chaque jour la perte de sa première épouse. Pauvre petite Rose ! sa vie, je le crains, doit être misérable. Je la prendrais bien volontiers dans la maison, mais elle s’y refuse, soit qu’elle ne veuille pas occuper une position dépendante (car je ne pourrais plus maintenant convenablement m’en faire une compagne), soit qu’elle préfère, par amour filial, demeurer avec son pauvre père, dont elle fait tout le bonheur et toute la consolation.

Madame Dumont entra dans le moment avec une lettre qu’elle voulait faire parvenir à madame de Choiseul.

— Je vous attendrai la semaine prochaine, Gustave, dit-elle. Nous aurons plusieurs de nos amis pour passer les fêtes avec nous, et il faut que vous soyez des premiers sur la liste. Vous pourrez amener ce jeune Français de votre régiment, dont vous nous avez si souvent parlé. Quoiqu’il soit un peu recherché et affecté, il est étranger en Canada, et de plus il a été très poli pour vous, ce qui constitue deux raisons pour que nous lui offrions l’hospitalité.

De Montarville exprima ses remerciements, serra la main à madame Dumont et à sa fiancée, qui lui défendait en souriant, mais avec fermeté, une plus grande marque extérieure d’affection, et il partit enfin pour la demeure de sa cousine, madame de Choiseul.

— Eh bien ! Blanche, comment aimes-tu ton futur mari ?