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LE MANOIR DE VILLERAI

demanda madame Dumont, quelque temps après le départ de Gustave.

— Assez bien, d’après ce que j’ai pu en juger.

— Tant mieux. Il te sera plus facile de me donner une réponse définitive à une question que je crois de mon devoir de régler au plus tôt, à savoir : quand vos noces auront-elles lieu ? Le plus tôt, je suppose, sera le mieux pour les deux parties. Tu vas bientôt avoir tes dix-huit ans, sais-tu bien ?

— Je ne l’épouserai pas, chère tante, avant que j’aie appris à l’aimer, répondit Blanche avec calme et détermination.

— Que veux-tu dire, Blanche, en prétendant que tu ne l’aimes pas ? N’est-il pas ton fiancé, ton futur mari ?

— L’aimer, tante Dumont ! et la jolie parleuse sourit légèrement ; mais comment ? c’est à peine si je le connais !

— Bien, bien, reprit la vieille dame en essuyant les verres de ses lunettes d’une manière agitée et nerveuse, sa ressource habituelle quand elle était vexée ou troublée. Une jeune fille que moi-même j’ai élevée avec tant de soin, que j’ai si bien instruite de ses devoirs, parler de cette manière ! C’est absurde, inconcevable au plus haut degré, c’est tout à fait irritant !

Un sourire à peine sensible se répandit sur la physionomie de la jeune fille en entendant ces reproches un peu singuliers ; mais madame Dumont, trop remplie de son sujet pour s’en apercevoir, continua énergiquement :

— Oui, de mon temps, un parent ou une tante présentait un monsieur à une jeune demoiselle, en lui disant : « Voici, mon enfant, le mari qu’on vous a choisi, » et la demoiselle, si elle était modeste et bien élevée, osait peut-être lever les yeux jusqu’à la figure du jeune homme et murmurait : « C’est bien, je l’accepte, » et c’était une affaire finie ; tout était dit.

Malgré ses efforts, Blanche ne put s’empêcher de rire un peu.

— Ah ! répondit-elle, nous avons beaucoup dégénéré depuis cette époque, ma chère tante. Pourtant je pense que si le regard furtif jeté à la dérobée sur mon cher oncle, feu M. Dumont, vous l’avait montré avec une tournure