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LE MANOIR DE VILLERAI

caractère, Blanche de Villerai, sans le vouloir, remplit plus d’un cœur jeune et ardent d’admiration pour elle-même et d’envie pour de Montarville. Celui-ci paraissait tout à la fois heureux et fier de son sort. Toujours le premier dans toutes les parties de plaisir, entretenant continuellement l’esprit de gaieté dans la réunion par ses franches saillies et ses joyeux rires, il était vraiment la vie de l’assemblée. Si quelquefois un nuage semblait passer sur son front, c’était lorsque le jeune vicomte, de son air insouciant et langoureux, faisait des commentaires sur l’abominable climat, sur les coutumes incompréhensibles du singulier pays dans lequel il était venu. Ordinairement, ces lamentations que la compagnie avait le plaisir d’entendre plusieurs fois par jour, finissaient par une plaisanterie ou un rire universel des deux côtés ; mais il arriva un peu plus tard un événement qui faillit un instant avoir des résultats plus sérieux.

Gustave revenait au manoir sur le crépuscule d’une après-midi de décembre, quand, à la barrière d’une ruelle conduisant derrière la maison, il rencontra tout à coup le vicomte de Noraye. Celui-ci semblait vouloir empêcher la sortie d’une jeune fille, que, malgré les grandes dimensions du manteau et du capuchon qui la couvraient, de Montarville n’eut pas de peine à reconnaître pour la belle du village, Rose Lauzon.

— Mais je vous dis, ma belle, s’écriait sarcastiquement le vicomte, que vous ne passerez pas avec une précipitation si déraisonnable. Dites-moi au moins votre nom et le lieu de votre résidence, et alors non seulement je vous laisserai passer, mais même je porterai votre petit panier jusqu’à votre demeure.

La jeune fille semblait dans une extrême détresse et extraordinairement embarrassée ; mais dans son agitation elle paraissait dix fois plus séduisante.

— Je vous en prie, monsieur, murmurait-elle, laissez-moi passer, je n’ai pas de temps à perdre.

— Mais moi, j’en ai, jolie enfant, et, pour vous le prouver, je vais vous retenir ici jusqu’à ce que vous me fassiez connaître votre nom et votre demeure. Non, non, pas si vite, ajouta-t-il en saisissant sa petite main, comme elle s’effor-