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LE MANOIR DE VILLERAI

sionomie de Rose prit une expression dédaigneuse, et elle reprit vivement :

— Je vous assure, cher papa, que je n’ai besoin ni d’André Lebrun, ni de sa ferme, ni de sa jolie maison.

— Rosa, ma chère, ne fais donc pas l’enfant. L’espoir d’une fortune aussi rare devrait te remplir de joie.

— Mais papa, vous qui avez trouvé le mariage si fatal à votre bonheur domestique, vous ne devriez pas m’engager à en essayer !

— C’est le second mariage, mignonne, qui m’a rendu si malheureux. Pendant mon premier mariage, j’ai été heureux comme le roi. Bien plus, ta méchante belle-mère est déterminée à te chasser de cette maison. Quelle satisfaction que de la laisser pour une autre bien plus belle que celle dont elle se dit la maîtresse !

Rose comprit qu’il était inutile de discuter les avantages probables ressortant de son mariage proposé avec Lebrun ; elle se contenta donc de répondre :

— Comment pourrais-je me résoudre à vous quitter, pauvre papa ? Qui vous consolerait et vous égayerait ? qui écouterait le récit de vos chagrins et de vos troubles quand je serais partie ?

— C’est vrai, bien vrai, murmura le vieillard. Notre âge, dit-on, est égoïste, et je suppose que c’est vrai, car je ne puis pas m’imaginer que je pourrais me passer de toi. Pourtant j’ai souvent regretté que tu aies refusé Charles Ménard. C’était un si brave garçon, qui se conduisait si bien, et qui était si amoureux de toi. Malheureusement, le pauvre garçon n’était pas riche, et comme tu passes pour la plus jolie fille de la paroisse, tu pouvais naturellement espérer un meilleur parti.

— Je n’ai pas refusé Charles parce qu’il était pauvre, cher papa. Oh ! non, mais parce que je ne l’aimais pas assez pour l’épouser. Je l’aimais cependant comme un frère ; je ne puis vous dire combien j’étais triste le matin où il m’a demandée pour être sa femme et où j’ai été obligée de le refuser.

— Oui, et maintenant qu’il est allé rejoindre l’armée, nous ne le reverrons plus, probablement. Mais, chut ! Voici la bonne femme. Que va-t-elle commencer par nous dire ?