Page:Leprohon - Le manoir de Villerai, 1925.djvu/40

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
43
LE MANOIR DE VILLERAI

s’écria-t-il, son chagrin se changeant en indignation, qui vous voulez avoir pour mari, si André Lebrun, l’homme le plus riche de Villerai, un marguillier, et, de plus, un magistrat, n’est pas assez pour vous ? Peut-être, pourtant, ajouta-t-il avec un sarcasme qui, suivant lui, devait entièrement anéantir sa froide compagne, mademoiselle Rose préfère-t-elle quelqu’un des beaux messieurs qui sont en ce moment en visite au manoir ? Je ne dois pas oublier qu’elle sait écrire, dessiner, et qu’elle est enfin une grande dame par son apparence et ses manières, bien supérieure à un simple habitant comme moi.

Ni ces paroles irritantes, ni le ton moqueur avec lequel il les avait prononcées, ne produisirent le moindre effet sur Rose.

D’une voix douce et calme elle reprit :

— Pourquoi vous fâchez-vous contre moi, André Lebrun ? Si je vous refuse, ce n’est pas que j’aie aucun sentiment de dédain pour vous ou pour les avantages que vous m’offrez, mais simplement parce que je ne désire pas me marier.

— Mais, qui aurait jamais songé à cela ? s’écria le jeune homme, considérablement ramené par cette douceur. Le village tout entier parle de la misérable vie que vous menez ici ; et moi, comme de raison, j’ai pensé tout naturellement que vous seriez heureuse de saisir une aussi bonne occasion de laisser cette maison.

— Oui, André, mais il me faudrait quitter mon vieux père, et mon amour pour lui contrebalance, vous le savez, toute la misère qu’il me faut endurer ici.

— Mademoiselle Rose, vous êtes un ange, s’écria avec force le jeune homme, dont les yeux se remplissaient de larmes malgré lui. Oui, et je suis déterminé à ne pas renoncer à vous aussi aisément. J’attendrai, et j’attendrai encore, et alors, quand la belle-mère vous aura rendu cette maison insupportable, vous saurez où aller pour en trouver une autre, et une meilleure.

Malgré l’obligeance et la bienveillance de cette dernière proposition du jeune homme, qui en l’exprimant ne faisait que manifester au dehors l’affection dont son cœur était rempli, Rose ne se sentit point reconnaissante. Toutefois, comme son admirateur persévérant prenait ici son chapeau