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LE MANOIR DE VILLERAI

une grande compassion pour le triste sort que lui réservait la destinée ; un pressentiment que son propre amour n’était pas sans retour, et enfin le souvenir de cette promesse solennelle qu’elle lui avait faite, promesse dont il se réjouissait dans son égoïsme ; telles furent les pensées qui occupèrent son esprit et son cœur en se rendant au manoir.

Il entra dans la chambre où était madame Dumont, avec un sentiment d’embarras qu’il essaya vainement de dissimuler. Son trouble et son embarras auraient beaucoup augmenté, s’il avait su que madame Lauzon venait de quitter la maison, après avoir raconté avec des couleurs exagérées, et, comme de raison, d’une manière très partiale, à mademoiselle de Villerai et à sa tante la scène qui venait de se passer à la ferme. En toute autre circonstance, Blanche aurait ri d’un tel récit ; mais l’intérêt que son amant semblait porter à Rose, depuis quelque temps, ne lui avait pas échappé, et tout en écoutant l’histoire de madame Lauzon dans un complet silence, ce récit n’en blessa pas moins profondément son cœur. Ne voulant pas voir Gustave dans les dispositions où elle se trouvait, elle allégua une migraine ; et priant sa tante de l’excuser auprès de leur hôte, elle gagna sa chambre, qu’elle se mit à parcourir, le teint animé, et portant sur sa figure l’expression d’une femme blessée dans sa dignité plutôt que dans son affection.

Madame Dumont cependant ne pensait pas ainsi ; car dès que la porte fut refermée sur sa nièce, elle murmura, en hochant la tête : Mal de tête, oui, c’est bien plutôt le mal du cœur, pauvre petite ! Eh bien ! voilà le résultat de ces mariages ajournés suivant les caprices insensés des jeunes filles ou des jeunes gens !

Quand de Montarville entra dans l’appartement où la digne dame était assise, il n’aurait pas manqué de remarquer, s’il avait été moins préoccupé, la froideur inaccoutumée de ses manières. Il donna la réponse de Rose, qui fut reçue en silence ; puis tout à coup, comme s’il eût été incapable de contenir plus longtemps l’indignation qui le surmontait :

— Quelle vilaine mégère, s’écria-t-il, que cette femme Lauzon ! Comme elle tyrannise affreusement sa belle-fille !

Madame Dumont ne donna d’autre réponse qu’un froid monosyllabe ; mais Gustave, sans remarquer cette réserve