Page:Leprohon - Le manoir de Villerai, 1925.djvu/77

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
80
LE MANOIR DE VILLERAI

inaccoutumée, entra dans une longue narration de la scène à laquelle il venait d’assister. Bien lui en prit, car, s’il eût gardé le silence sur l’affaire, il aurait certainement confirmé la fausse relation de madame Lauzon. Graduellement la physionomie sévère de l’hôtesse s’adoucit, et quand enfin il décrivit la manière sommaire dont il avait jeté ce despote féminin hors de son domaine, la tante, tout à fait satisfaite de cette explication, rit de grand cœur.

Il faut que Blanche entende cela, s’écria-t-elle en laissant la chambre.

Un instant après elle revint accompagnée de sa nièce : celle-ci était plus pâle que ne l’avait jamais encore vue Gustave. Cette circonstance, jointe aux sentiments de remords que les réflexions de Rose avaient soulevés dans son cœur, imprima à ses adieux une douceur, une tendresse qu’il n’avait pas montrées depuis longtemps dans ses manières. Cependant il y avait entre eux un nuage, un vague sentiment inexprimable, qu’on rencontre rarement chez deux jeunes cœurs que remplit un amour honnête, sanctionné et permis.

Le joyeux bruit des clochettes de la carriole qui emportait de Montarville, s’était à peine éteint dans le silence qui régnait au dedans et autour du manoir, que madame Dumont, comme poursuivant une idée intérieure, dit tout à coup :

— Ce n’est pas lui que je blâme, Blanche, c’est elle.

— Voulez-vous dire Rose, ma tante ? demanda sa jeune compagne avec une vivacité qui montrait que ses pensées erraient aussi sur le même sujet.

— Oui, justement, cette timide, réservée et trompeuse petite créature. On sait que les jeunes gens ne peuvent s’empêcher d’exprimer leur admiration quand ils rencontrent une jolie fille, mais ils ne doivent pas recevoir en retour l’encouragement qu’elle paraît avoir donné à Gustave. Bien, bien, qui l’aurait jamais pensé ? Réellement, je n’ai pas la patience de la voir cette après-midi, je lui en dirais peut-être trop. Va t’habiller, Blanche ; une promenade en voiture te fera du bien, et moi je vais charger Fanchette de dire à mademoiselle Rose, comme l’appelle cérémonieusement Gustave, que nous sommes trop occupées pour la recevoir.