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L’ONCLE BARBE-BLEUE

grosse somme et qu’elles ne pouvaient disposer ainsi de leur argent sans en avoir écrit à leur mère.

— Vous savez bien que nous sommes convenues de ne mettre personne dans la confidence s’était écriée Geneviève, ne donnez rien du tout si vous voulez, mais ne détruisez pas le charme de la chose en en parlant de tous côtés : c’est déjà bien assez d’avoir eu à en instruire Mlle Favières.

Faute de s’entendre, et sur les fonds nécessaires, et sur leur emploi, les jeunes filles finirent par se résoudre à faire séparément leurs emplettes comme bon leur semblerait.

On courut les magasins de Grenoble pendant toute une journée, au grand bonheur de Marie-Antoinette, qui, selon Geneviève, se trouvait dans son élément au milieu des fanfreluches et des chiffons. Il fallait la voir demander, ordonner, faire déplier vingt pièces, et froisser avec bonheur dans ses doigts les soies et les rubans, pour en arriver à prendre une étoffe mi-soie, mi-coton, aux couleurs criardes, qui n’avait ni solidité, ni utilité réelle pour les enfants à qui elle était destinée. Mlle Favières haussa les épaules après avoir fait sans succès quelques observations.

« C’est mon argent, je suis bien libre d’acheter ce que je veux », avait répondu très impoliment la fillette.

Et elle ajouta, sans réfléchir à l’étoffe choisie, un chapeau tout garni beaucoup trop élégant. Ce ne fut que le lendemain qu’elle s’aperçut que, trompée par l’obscurité du magasin, elle avait pris un chapeau vert pour terminer une toilette où le rouge dominait.

Il était assez curieux d’observer le caractère des fillettes d’après leur manière d’agir en cette occasion. Geneviève semblait n’avoir nulle idée de la valeur de l’argent, elle achetait,